Cette année marque le 20e anniversaire, eh oui, déjà 20 ans, de la spectaculaire victoire de Jacques Villeneuve aux 500 Milles d’Indianapolis en 1995. En exclusivité, Jacques nous raconte ici comment il a vécu cette course riche en rebondissements !
Commençons par un bref rappel des faits. Jacques Villeneuve est aux commandes d’une Reynard-Ford inscrite par l’écurie Team Green et commanditée par Player’s. Le Québécois s’est qualifié en 5e position, au milieu de la seconde ligne de départ. Après un début de course prudent, Villeneuve décide de ne pas ravitailler lors d’une neutralisation. Il reste en piste, mais il ne sait pas qu’il mène la course. Il double accidentellement la voiture de sécurité. La sanction tombe : pas un, mais deux tours de pénalité.
Contre toute attente, il parviendra à refaire son retard et à gagner la course après que le meneur, Scott Goodyear, ait été pénalisé, lui aussi, pour avoir doublé la voiture de sécurité lors de la dernière relance. Jacques Villeneuve commence la conversation en nous racontant comment il s’est senti après avoir reçu cette pénalité sévère. « Ça m’a mis en furie. J’étais vraiment vexé, parce qu’il s’agissait d’une pénalité qui aurait pu facilement être évitée. De plus, la voiture de sécurité n’a pas essayé de m’arrêter. C’était le chaos et personne ne savait qui était en tête à ce moment-là. C’était incroyable de bousiller de telle façon l’Indy 500 ; la plus grosse course automobile au monde. Mais on ne s’est pas énervé. L’équipe a été très forte. Barry Green [directeur de l’équipe] et Tony Cicale [ingénieur] sont tout de suite intervenus à la radio pour me rappeler que c’était une longue course. ‘Let’s keep our heads down. On ne sait jamais ce qui peut arriver. On roule vite. On va être capable de revenir’ m’ont-ils dit. Je leur faisais une confiance aveugle. Et c’est pour cette raison que j’ai commencé à prendre des risques.
Au lieu de faire une course d’Indianapolis tranquille, ça a été pour moi tour de qualif après tour de qualif, ce que tu ne fais jamais à Indianapolis. À tous les cinq ou dix tours, je regardais le classement sur la grande colonne, et je constatais que je remontais. En qualification, on a constaté que nous n’étions pas au niveau des Bridgestone avec nos pneus Goodyear, et que le moteur Ford n’était pas à la hauteur du Honda. Je me suis qualifié 5e, premier des moteurs Ford et premier en pneus Goodyear, ce qui représentait déjà une solide performance. Côté châssis, côté réglages, on était les meilleurs, voire les mieux préparés. Mais il nous manquait un peu de moteur et un peu de gomme de pneus. Voici ce que Goodyear a fait : ils ont apporté des pneus pour la course qui n’avaient jamais été essayés. Ils ont conçu et fabriqué des pneus, et se sont dit ‘On les mettra durant la course et on verra ce que ça donnera’. On n’a pas mis ces nouveaux pneus tout de suite, car avec les pneus normaux, c’était acceptable. On a attendu que d’autres équipes les installent pour voir comment ils se comportaient. On a donc attendu durant deux relais. On savait que nous avions une voiture très bien réglée. Si les pneus normaux tenaient le coup, les nouveaux tiendraient aussi.
C’est lorsqu’on a pris la pénalité que la décision fut prise de prendre le risque avec les pneus. C’étaient comme des pneus de qualification ! Le grip était incroyable. Je pouvais rester très près des autres dans le trafic. C’était le fun ! Et là, nous étions super vite. L’équilibre de la voiture est resté bon, ce qui est vraiment impressionnant, surtout aux vitesses auxquelles ont roulait à cette époque. Aujourd’hui, jamais on ne verrait un tel truc : apporter des pneus jamais essayés en course, et surtout pas à Indianapolis ! Un autre avantage est venu du fait que je consommais moins de carburant que les autres. Ça a été le cas durant toute ma carrière. Quelles que soient les catégories, j’ai toujours utilisé moins d’essence, moins usé mes pneus et mes freins que mes coéquipiers. Donc, à chaque relais, je parcourais toujours deux ou trois tours de plus que les autres. Je disposais aussi d’une 6e vitesse que j’utilisais parfois en aspiration pour économiser du carburant. Et aussi pour soulager le moteur. Il m’arrivait de lever le pied en virage, juste un tout petit peu, pour ne pas qu’il explose dans les cinq derniers tours. À un certain moment de la course, je me suis retrouvé avec des pneus usés à la corde. J’ai négocié tout le virage 2 en glissade, totalement en travers, le volant complètement braqué à l’opposé ! Je regardais le gazon à l’intérieur. Je me suis dit ‘Comment puis-je arriver à effectuer un tête-à-queue sans rien taper, et continuer ?’ Je ne voyais même plus la piste. J’ai conservé l’accélérateur enfoncé, et je me suis remis en ligne droite, juste à la sortie de virage, à 30cm du mur. J’ai fait ‘Ouffff !’ Je pense que ça été le plus beau virage de toute ma carrière ! Quand c’est survenu, j’étais convaincu que ma course se terminait. Ça m’a calmé un peu. Plus tard durant la course, lors d’une neutralisation, j’ai connu un autre moment chaud. Un sac de plastique s’était coincé à l’antenne située sur le dessus du châssis, juste devant mes yeux, et ça m’énervait. Je n’arrivais pas à l’attraper avec mes doigts. J’ai donc desserré mes ceintures de sécurité pour pouvoir me pencher vers l’avant. Je me suis brusquement souvenu que j’avais coupé le bout des ceintures pour qu’elles soient plus courtes, car elles avaient tendance à battre au vent. J’ai cessé de tirer alors qu’il ne restait qu’un centimètre de ceinture. Si l’extrémité était sortie de la boucle, j’aurais été obligé de m’arrêter aux puits.
À un moment, on m’a dit par radio ‘You’re on the lead lap’. Lors de la dernière neutralisation, j’occupais la deuxième place. Durant ce jaune, je me dis ‘Bon travail. Deuxième place pour une seconde année de suite, c’est très bon’. De toute façon, nous étions moins vite que le meneur, Scott Goodyear [sur une Reynard à moteur Honda et en pneus Bridgestone]. J’étais content. Mais durant le dernier tour de cette neutralisation, je me suis dit que même s’il était plus rapide que moi, il fallait que je lui mette une pression maximale. Il fallait que je le pousse à commettre une faute. Alors je l’ai énervé. Toujours derrière la voiture de sécurité, je me plaçais à côté de lui, je donnais des coups de freins, puis des coups d’accélérateur. Puis, je l’ai vu partir comme une balle, et il a doublé la voiture de sécurité. J’ai donc sauté sur les freins. Je me suis dit ‘Le règlement est clair. J’espère qu’ils vont le pénaliser’. Il existait une petite chance. J’ai joué au poker. Et ça a marché ! On s’est rendu la course difficile, et ça a rendu la victoire encore plus agréable. Si nous n'avions fait que gagner, pfffff. Si nous n’avions pas pris cette pénalité en début de course, peut-être n’aurions-nous pas gagné. Je n’aurais pas conduit à l’attaque durant toute la course et nous n’aurions pas pris ces risques fous. Cette course va demeurer les seuls 505 Milles d’Indianapolis. Ça va rester un record, un événement historique ». Articles Récents
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